« Chunyun mama » 10 ans plus tard, l’épopée d’une travailleuse migrante du fin fond de la Chine

1612909136738 Chine-info Hu Wenyan

30 janvier 2010. En plein « chunyun* » du nouvel an chinois, la plus grande migration annuelle au monde, une jeune femme cherche son train dans la gare de Nanchang, province du Jiangxi, dans le sud de la Chine. Un sac à dos immense et un bébé dans les bras, elle se déplace lentement, avec un dos courbé et le regard intense. Une scène improbable qui nous rappelle l’image d’un « château ambulant ». 

C’est ce moment précis que Zhou Ke a immortalisé. Photographe de l’agence Xinhua, il avait publié le cliché sur les réseaux sociaux, propulsant instantanément « chunyun mama » sous le feu des projecteurs, qui devint le symbole d’une vie de labeur, de pauvreté, de combat des travailleurs migrants mais également de force maternelle et d’attachement à la famille…  

« La photo a notamment rendu visible des millions de travailleurs migrants comme cette femme, véritables héros du miracle économique chinois et grands absents des débats médiatiques », comme le rappelle aujourd’hui un internaute. 

Gagnant de plusieurs prix grâce à cette photo, Zhou Ke n’a cessé de penser à cette jeune mère et de la chercher, en vain. 

Mais en début de cette année, coup de chance : il retrouve ses traces, prend contact avec « chunyun mama » qui accepte de le recevoir chez elle, dans les monts Daliang dans le Sichuan. Dans un article publié début février, Zhou Ke raconte en photos sa rencontre avec Bamuyu Bumu, 32 ans, originaire de l'ethnie Yi, dont l’histoire personnelle est intimement marquée par la « grande Histoire » de la Chine.

Photo prise en 2010 devenue virale, montrant Bamuyu Bumu, surnommé « chunyun mama » avec son bébé. © Xinhua

Sur la photo de 2010, Bamuyu Bumu avait 21 ans et essayait de se rendre dans sa contrée natale pour la fête du Printemps. Durant cinq mois, elle avait travaillé, avec son bébé dans le dos, dans une usine de fabrication de briques à Nanchang. « Je gagnais entre 500 et 600 yuans (entre 64 et 77 €) par mois. Un salaire modeste, c’est sûr. Mais si je travaillais chez moi dans les champs, j’aurai gagné encore moins », explique-t-elle. 

L’entretien nous révèle que sur la photo, elle tenait sa fille cadette dans les bras, malheureusement décédée peu de temps après leur retour aux monts Daliang. L’année suivante, elle perd son troisième enfant 10 jours après la naissance. « À cette époque-là, on accouchait à la maison. Dans ces contrées reculées, il était impossible pour un nouveau-né d’être soigné rapidement s’il avait des problèmes de santé », déplore-t-elle.

Photo de Bamuyu Bumu prise le 22 janvier 2021 par Zhou Ke lors de sa visite dans le village Tao Yuan du comté de Yue Xian de la préfecture autonome Yi des monts Daliang dans le Sichuan. © Xinhua

Les monts Daliang, de la préfecture autonome Yi, situés dans le fin fond du Sichuan où Bamuyu Bumu est originaire, faisaient partie de l’une des régions les plus pauvres de Chine. La région est notamment connue pour ses scandales de trafic d’orphelins, de travail forcé des enfants et de trafics de drogue. L’extrême pauvreté dans ces contrées avait rendu la population indolente. Il était urgent de sortir cette région et ses habitants de la pauvreté. 

Dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté que la Chine s’était fixé, le gouvernement a lancé une politique de relogement dans la région. Au quatrième trimestre 2020, on comptait 35 projets locaux de développement évalués à 12,7 milliards de yuans (1,6 milliards d'euros) rien que dans la contrée des monts Daliang. À ce jour, 82 000 foyers du comté de Yue Xian ont été relogés. Durant les huit dernières années, plus de 12 000 fonctionnaires spécialisés ont eu pour mission d’aider les paysans à sortir de la pauvreté. 

Dans la lutte contre la pauvreté, la Chine a fait de la politique de « relogement » son cheval de bataille. © Xinhua 

 

La famille de Bamuyu Bumu a longtemps habité au pied des montagnes, subissant l’isolement et l’enclavement, avant d’être relogée. © Xinhua 

Pendant près de 30 ans, la famille de Bamuyu Bumu a habité dans une maison en pisé, au pied des montagnes, dans le comté de Yue Xian. Lors des périodes de forte pluie, l’eau s’infiltrait dans les murs et gouttait à travers les fissures. À ces conditions difficiles d’habitation s’ajoutaient l’isolement et l’enclavement que les habitants subissaient dus à la position géographique de leur village.

 

Bamuyu Bumu et ses quatre enfants dans la cour de leur nouvelle maison. © Xinhua 

Récemment, la famille de Bamuyu Bumu a aménagé dans une nouvelle maison suite aux mesures gouvernementales mises en place pour lutter contre la pauvreté en Chine. Mais les trente années passées dans une maison délabrée ont laissé des traces indélébiles. Aujourd’hui encore, il arrive à Bamuyu Bumu de faire des cauchemars dans lesquels elle est témoin de l’effondrement de sa maison. 

Analphabète, Bamuyu Bumu espère que ses enfants pourront réussir leur ascension sociale par le biais de l’éducation. Actuellement, ses enfants sont tous scolarisés : sa fille aînée en classe de cinquième dans un collège, sa cadette en primaire et ses deux fils à la crèche et à la maternelle.

Dans le collège Xinmin du secteur, le nombre d’élèves a augmenté de 873 en 2015 à 2 425 en 2021, avec un nombre croissant de filles, passant respectivement de 15 % à 51 % (Xinhua). 

Bamuyu Bumu et son mari (droite) travaillent aujourd'hui dans l'élevage d'holothuries au Fujian. © Xinhua 

Aujourd’hui, Bamuyu Bumu et son mari sont employés dans une entreprise d’élevage d'holothuries dans le Fujian, sur la côte est de la Chine. Le couple travaille dur mais gagne en moyenne 10 000 yuans (1 280 euros) par mois, soit près de 10 fois plus que ce qu’ils gagnaient en tant que migrants 10 ans auparavant. Sur un an, la famille peut compter sur un revenu moyen qui s’élève à 100 000 yuans (12 800 €), un chiffre supérieur au revenu moyen régional de 15 204 yuans par an et par habitant. 

Le seul regret de Bamuyu Bumu aujourd’hui, c’est de passer trop peu de temps avec ses enfants qu’elle doit laisser à la campagne avec les grands-parents. « Si on travaille aussi dur et souvent loin de la maison, c’est pour l’avenir de nos enfants. Pour qu’ils puissent avoir une éducation, aller à l’université, trouver un bon travail et avoir une vie meilleure », confesse-t-elle.

 

* « Chunyun » (春运) est utilisé en chinois pour décrire la grande migration de personnes qui a lieu chaque année au moment des festivités de la fête du Printemps, d’où son nom composé de « chun » (, printemps) et « yun » (, transporter).

 

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